Covid-19: Au Maroc, un «choc» de tourisme intérieur est indispensable
À l’heure des fermetures des frontières et des incertitudes, il est difficile de se projeter dans cette nouvelle économie «post-corona» qui bouleverse notre manière de voir les choses et d’appréhender notre avenir, spécialement en ce qui concerne le secteur du tourisme, a fortiori dans les pays dépendants de ce secteur, dont le Maroc. Ainsi, selon les estimations de La Confédération nationale du tourisme (CNT) du Royaume, l’impact à date de la pandémie serait déjà de 33 milliards de dirhams (3 milliards d’euros) de pertes, de 500.000 emplois perdus et de 8.500 entreprises menacées. Un manque à gagner substantiel avec des conséquences dramatiques, voire irréversibles, si des décisions en faveur d’un «choc» de tourisme intérieur ne sont pas prises rapidement.
En 2019, les Marocains ont dépensé 21 milliards de dirhams – environ 2 milliards d’euros – lors de leurs séjours à l’étranger, soit une augmentation de 10% par rapport à l’année précédente. S’inscrivant dans cette tendance mondiale qui accordait une place importante à la découverte, à l’exploration et au dépassement de soi, les frontières n’étaient alors qu’une simple formalité. Avènement du low-cost, ubérisation de la société, économie du partage, levée des barrières sur les visas, rôle du numérique, émergence d’une classe moyenne en quête de renouveau et flexibilité des entreprises, toutes les conditions étaient réunies pour accompagner cette dynamique mais aujourd’hui le soufflé semble retomber aussi vite qu’il est monté, pandémie oblige.
En s’intéressant de plus près aux raisons qui poussent les Marocains à voyager à l’étranger plutôt que dans leur pays, on se rend rapidement compte qu’il y a un problème de positionnement de notre offre nationale. Si les notions de rapport qualité/prix ainsi que les dimensions de sécurité, d’infrastructures et de sentiment de liberté reviennent de manière quasi systématique, il est une raison évoquée qui interpelle particulièrement, celle de la considération accordée au citoyen marocain. D’après une étude effectuée par Guepard Conseil, les Marocains ne se sentent pas valorisés au sein de leur propre pays, ils témoignent de ce sentiment de discrimination constant par rapport au touriste étranger qui installe une atmosphère de gêne et de méfiance permanente. Difficile alors de se demander comment détacher le touriste marocain de son séjour traditionnel à la Costa Del Sol et de faire baissersa «fièvre turque»? Cette dernière destination engrange seule 30% des dépenses annuelles de voyages à l’étranger des nationaux marocains en 2019…
S’il y a pourtant une chose que nous aurions pu faire, c’est capitaliser sur nos expériences antérieures en matière de gestion de crise et tirer des enseignements forts, mais au lieu de cela nous avons préféré développer un optimisme national excessif sans y ajouter peut-être, une dose de réalisme.
Un optimisme national excessif?
Le krach boursier de 2008 avait donné un avant-goût de ce qu’aurait été un scénario catastrophe, qui impacterait en première ligne le tourisme national, l’un des principaux moteurs de développement du pays. Rappelons quelques données de l’Office des changes qui estimait une diminution des recettes de voyages de l’ordre de 14% au premier trimestre 2009 et une baisse de 3 milliards de dirhams des recettes des Marocains résidents à l’étranger (MRE) à destination du Maroc durant cette même période.

Face à l’urgence de la situation, les plans de sauvetage se sont multipliés avec des loupés flagrants et des réussites plus timides. Globalement, même si l’État a misé sur la promotion et le renforcement d’un tourisme intérieur plus fort, le pays compte encore sur un tourisme international de proximité, avec le continent européen notamment, et nous nous apprêtons à en payer le prix. Aujourd’hui, l’Organisation mondiale du tourisme parle d’un recul de 20 à 30% des arrivées de touristes internationaux contre 4% en 2009, des ordres de grandeur qui font froid dans le dos mais qui peuvent cependant être atténués. Pour cela, il faut miser sur le local.
En matière de tourisme, un hôtel fermé est un hôtel quasiment condamné. Les touristes marocains doivent donc venir se substituer aux étrangers. Mais sous quelles conditions?
La question est posée. Aujourd’hui plus que jamais, il est grand temps de provoquer un changement de paradigme en opérant un retour profond vers les fondamentaux. Dans ce cadre, il serait pertinent de s’inspirer du professeur de Marketing à Harvard Business School,Theodore Levitt, qui a été le premier à mettre en exergue la méthode «The Job To Be Done». Celle-ci consiste à recentrer notre proposition de valeur sur l’expérience vécue et sur ce qui importe le plus pour le touriste national. Pour cela, il s’agit de comprendre ses motivations, ce qu’il recherche en priorité à travers des aspects fonctionnels, son ressenti personnel ainsi que l’ensemble des perceptions et impacts sociaux. À ce titre, il semble également intéressant de se pencher sur les effets des réseaux sociaux sur notre rapport au voyage, en particulier Instagram. D’après une étude récente, deux tiers des 18-34 ans déclarent que l’«instagrammabilité» de leur lieu de vacances est leur critère de choix numéro 1, le ressenti personnel étant ainsi relégué au second plan entraînant avec lui sa corollaire que sont les questions d’estime de soi.
«Futur du voyage» ou «voyage du futur»?
Cette réflexion introduit la place du numérique et du digital dans le plan de sauvetage du tourisme national, spécialement dans un contexte actuel de préparation au dé-confinement où il est plus qu’urgent de penser au «futur du voyage» qu’au «voyage du futur». Les deux notions se rejoignent pourtant parfaitement si l’on considère les avancées de l’intelligence artificielle et le marché grandissant de «l’internet des objets» qui nous permettraient d’inclure dans notre offre nationale, des choses nouvelles comme des pré-découvertes virtuelles de l’ensemble de nos régions. L’idée centrale ici étant de susciter un réel engouement pour la découverte du pays en contournant les limitations de mouvements et les craintes éventuelles. L’idée d’une plateforme collaborative nationale pourrait aussi contribuer à professionnaliser la démarche, accélérer la prise de décision et créer de nouvelles formes d’emplois.
Qu’en est-il de la place de l’innovation en ces temps de crise? On le sait, les deux notions ont toujours été intimement liées. Dès les premiers jours de la pandémie, l’ensemble des secteurs de notre économie se sont lancés dans une véritable course à l’idée innovante: industrie pharmaceutique, éducation, logistique, restauration… avec en chef de file les start-ups, associations, collectifs et jeunes PME. Comme si le coronavirus était le déclencheur d’une nouvelle stratégie nationale de croissance portée en grande partie par la recherche et le développement. Soutenir ces écosystèmes stratégiques devrait ainsi figurer au sommet de l’agenda politique marocain à travers une réglementation plus avantageuse, une multiplication des initiatives et un important soutien financier. Un appel mondial vient d’ailleurs d’être lancé par l’Organisation mondiale du tourisme pour atténuer les effets de la crise sur le secteur à travers l’innovation et devrait donner une impulsion supplémentaire à nos acteurs nationaux.
Par ailleurs, il existe un vecteur relativement récent au Maroc, celui du tourisme responsable, qui serait porté par l’univers du sport notamment et qui participe de plus en plus à la dynamisation de notre offre nationale et à la valorisation de nos potentialités locales.
Si ce dernier figure parmi les objectifs poursuivis par la Vision 2020, le pays aurait tout à gagner si les efforts s’intensifiaient dans ce sens pour en faire un domaine mieux structuré, plus soutenu et au service d’une relance touristique nationale post-coronavirus. «Dans tous les secteurs, on peut bénéficier du sport comme élément fédérateur, canal de sensibilisation et d’innovation et le tourisme n’échappe pas à cette règle», déclare Saad Amor, l’un des fondateurs du Green Challenge Morocco; une initiative 100% marocaine qui allie chaque année performance sportive et divertissement dans des lieux inédits du Royaume.
En plus des aspects socioéconomiques qu’il revêt ainsi que les valeurs qu’il véhicule, ce type de tourisme peut contribuer à désaisonnaliser certaines destinations et à maintenir un niveau de fréquentation constant durant l’année.
Les auteurs Joy Standeven et Paul de Knop, considérés comme des références du secteur, définissaient le tourisme sportif de la sorte: «Le tourisme sportif comme expérience culturelle à deux dimensions: l’activité physique et le lieu de réalisation».
Dans le même sens et si l’on se base sur le premier pays à dé-confiner sa population, à savoir la Chine, nous devons nous attendre à un nouveau tourisme post-coronavirus qui serait vraisemblablement un tourisme de plein air, un tourisme rural, orienté parcs nationaux, espaces verts, montagnes ainsi que lieux culturels, l’occasion pour le pays de réveiller quelques-unes de ses «cités endormies». C’est la piste actuellement exploitée par le Conseil régional de tourisme de Marrakech qui propose tout un programme d’itinéraires solidaires basé sur l’esprit des Road Trips visant à dévoiler des facettes inconnues de nos régions et de les faire profiter des retombées économiques que cela engendre. Selon Hamid Bentahar, président du CRT de Marrakech, «une des conditions de réussite de ce projet sera de booster les investissements relatifs à l’animation locale, en particulier en ce qui concerne l’esprit de famille et les enfants». Le message est lancé au même titre que le développement des infrastructures globales du pays, de l’insertion de l’informel dans les circuits classiques, de la facilitation des démarches administratives et surtout du volet formation. S’agissant d’un métier d’hommes avant tout, il semble vital de compléter et de consolider l’offre existante, spécialement celle de la formation terrain. La main-d’œuvre saisonnière n’est que partiellement formée et ne répond pas aux attentes d’un marché de plus en plus exigeant.

Qu’en sera-t-il du rapport des Marocains au voyage
en sortie de confinement?
Le tourisme de l’après-crise sera d’abord un tourisme domestique et il se devra de convaincre par la rigueur de ses normes d’hygiène. En effet, une étude menée par l’agence de voyage Iktichaf Travel révèle une réelle inquiétude concernant la propagation du virus à travers la literie et l’exposition du personnel, «prises de températures systématiques, équipes médicales déployées sur place et opérations de désinfection quotidiennes encourageront davantage nos touristes nationaux à voyager en ces temps moroses», déclare Othmane Ibn Ghazala, fondateur de l’agence. Les acteurs concernés se doivent de réfléchir dès maintenant à une offre de labélisation claire et à instaurer des process sanitaires rassurants.
Encore faudrait-il que les ménages puissent toujours se permettre de voyager. Les touristes nationaux s’attendent pour la grande majorité à des promotions exceptionnelles et des tarifs aménagés pour pallier à la dégradation de leur pouvoir d’achat, et c’est là où le système bancaire peut devenir un vrai relais de relance du secteur: mesures d’exonération d’impôts, constitution de fonds publics privés, reports d’échéances… une panoplie de mesures à placer au centre de la réflexion, sur des temps plus longs, au service du maintien de la consommation et de la survie des plus fragiles.
Atténuer les effets du coronavirus sur le tourisme national à travers un choc de relance interne ne se fera pas sans un effort de pensée collective s’inscrivant dans le cadre d’un projet national global. Nous avons peut-être failli à la tâche de concilier les efforts de fond et de forme mais fallait-il que tout aille mal avant de tout reconstruire? L’histoire le dira…
Repenser le modèle de tourisme intérieur
Pour amortir le choc provoqué par la pandémie du coronavirus, il faudrait repenser en profondeur notre modèle touristique intérieur, faire en sorte que la demande locale soit portée par un élan patriotique national à travers l’encouragement d’initiatives privées mais également à travers l’action des professionnels du secteur qui visent à reconnecter bon nombre de Marocains à leur pays. Le tourisme ne devrait plus figurer parmi les parents pauvres des politiques publiques nationales et retrouver ses lettres de noblesse en opérant une restructuration profonde des approches qui ont prévalues jusqu’à présent.
Un tourisme intérieur en manque de concept
Il est nécessaire de déployer un récit national puissant et fédérateur, réorienté vers l’intérieur à travers un marketing territorial fort. Une piste intéressante serait de prendre pour pierre angulaire des parcours touristiques autour des 4 éléments, feu, air, eau et terre… en y incluant le volet animation. Multiplier les autorisations d’occupations temporaires pendant la période estivale permettrait de dynamiser les espaces publics, notamment en ce qui concerne les professionnels du secteur de la restauration et le domaine balnéaire.
Source: https://leconomiste.com LIEN