Le Tourisme au Club de L’Economiste: «Aucune perspective de reprise avant 2022»
«Nous appréhendons fortement les 24 prochains mois! Le secteur est de loin le plus sinistré de tous. Il souffre depuis 8 mois d’une crise profonde qui laissera de lourdes séquelles des années durant. Malheureusement, cette situation devra durer encore 12 à 24 mois, selon l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT)», tient d’emblée à préciser Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du Tourisme. Selon une étude récente de Deloitte, une fois la pandémie contenue, 65% des acteurs pensent que la reprise prendrait entre 12 et 24 mois.
«Si rien n’est entrepris dans l’immédiat, à travers des réponses d’appui fortes, audacieuses et urgentes, il y a de gros enjeux systémiques. L’ensemble de l’écosystème est menacé avec des risques de destruction importante du tissu économique», alerte Kabbaj.
«Nous risquons de perdre 200.000 emplois ainsi que la fermeture de pas moins de 4.000 entreprises. D’ailleurs, de nombreuses faillites sont déjà enregistrées», signale Kabbaj, l’air très inquiet. Une telle situation devrait aussi se traduire par des ruptures sur l’ensemble de la chaîne de valeur aussi bien pour les emplois, les réserves en devises ou encore les équilibres macro-économiques du pays. C’est dire l’ampleur des dommages collatéraux!

Première sortie médiatique des principaux représentants du secteur dans ce contexte de crise sans précédent. Invités au Club de L’Economiste, les professionnels Abdellatif Kabbaj (président de la CNT), Jalil Benabbés-Taarji (président de l’Association nationale des investisseurs touristiques: ANIT) et Hamid Bentahar (président du Conseil régional du Tourisme de Marrakech) livrent un diagnostic précis et documenté sur la situation réelle de ce secteur stratégique et ce, sur fond de fortes préoccupations. L’objectif est de contribuer à co-construire une relance le plus rapidement possible. Ce qui permettra non seulement le redémarrage de la machine mais aussi de faire face à l’enjeu majeur de préservation des emplois.
Face à l’ampleur des dégâts et à l’incertitude générée par cette situation inédite de crise, une démarche plus structurée s’impose pour la sauvegarde des acquis. Certes, le gouvernement et la tutelle ont déployé un contrat-programme. D’ailleurs, l’ensemble des professionnels saluent cette initiative. «Nous n’avons aucune espèce de doute sur la bonne volonté des pouvoirs publics. La bonne intention est acquise aussi bien du côté du gouvernement que de l’Etat», tient à préciser Jalil Benabbès-Taarji.
Sauf que, la réalité est aujourd’hui tout autre. Ce qui fait que le contrat programme (CP) est vite devenu caduc, asynchrone, décalé… La feuille de route a été réalisée à un moment donné par rapport à des scénarios de base qui ont complètement changé entre-temps. Plus encore, même sur cette 1ere mouture du CP, il y a plusieurs conventions qui ne sont pas encore activées. A part les aides octroyées aux employés (indemnité de 2.000 DH par mois débloqués par la CNSS), la quasi- totalité des conventions n’ont pas encore été signées (GPBM, Fiscalité, ONMT, Investissement, Fonds Tourisme…). C’est dire que les décisions majeures dépassent le périmètre du ministère de tutelle, elles sont plutôt du ressort des Finances.
De surcroît, la destination Maroc a raté plusieurs opportunités. Depuis l’été dernier, le contexte s’est vite dégradé, la conjoncture économique a empiré. D’autant plus que la reprise tant espérée, lors de la saison estivale, n’a finalement pas eu lieu. Le tourisme interne a essuyé un échec cuisant avec les restrictions des déplacements inter-villes.
Le tourisme international n’a pas pris non plus, puisque les liaisons aériennes sont fermées et les vols spéciaux encore maintenus. Du coup, les vacances de la Toussaint auront été un flop et la tant attendue fin d’année est compromise. Ce sont là autant d’opportunités et de rendez-vous que le Maroc a ratés, puisque la relance a déjà commencé ailleurs. «Il y a des gagnants et des perdants lors de la saison estivale. Sur l’hiver, il y aura également des gagnants et des perdants», déplore Kabbaj.

Le constat aujourd’hui est que l’ensemble de l’écosystème est en situation de survie. Le pronostic vital est engagé. «Nous sommes dans un no man’s land. La contingence et la logique font que l’on doit réévaluer le contrat programme en fonction de la conjoncture sans précédent des économies mondiales», insiste Benabbès-Taarji.
Voilà autant d’éléments et de facteurs, à la fois endogènes et exogènes, qui dictent une mobilisation générale à travers une nouvelle approche et plus de réactivité. « Le vrai sujet aujourd’hui consiste à enclencher l’ensemble des leviers pour un redémarrage le plus rapidement possible de l’activité», s’accordent à dire les trois représentants du secteur.
Pour relancer la machine, les professionnels sont unanimes: «Il faudra affronter la réalité, admettre à vivre avec le virus pour retrouver de l’activité et renouer avec la dynamique économique». Parmi les résolutions urgentes à prendre, «la signature d’un nouveau contrat-programme avec des rubriques et des chapitres plus approfondis pour les 6 mois à venir». Il en va de la pérennité des fondamentaux de l’ensemble de l’écosystème.
Pour remettre l’écosystème dans son contexte, le président de la CNT précise que l’économie du tourisme pèse pour 11% dans le produit intérieur brut (PIB), soit 7% pour l’international et 4% pour le national. L’activité totalise 11.000 entreprises (dont 65% dans l’hôtellerie) avec 2,5 millions d’emplois directs et indirects (dont 500.000 directs).
Les pré-requis à un redémarrage rapide
Même si le bon sens veut que la crise internationale implique des solutions mondiales, il y a une multitude de sujets qui relèvent plutôt de la souveraineté marocaine. «Le Maroc est souverain de décider d’ouvrir ses frontières et les lignes aériennes. En même temps, il va falloir rester vigilant, observer ce qui se passe, continuer à informer et à sensibiliser…», préconise Benabbès-Taarji.
Aujourd’hui, le Maroc est l’un des rares pays qui est à la fois dans un régime de fermeture des frontières avec des vols spéciaux et de règles sanitaires draconiennes, rappelle Taarji. Or, selon le président de l’ANIT, il y a l’option de garder ou l’un ou l’autre avec le souci d’équilibre entre la santé et l’économie. Ce qui implique «d’ouvrir les frontières tout en maintenant un protocole sanitaire des plus stricts». Pour le redémarrage rapide de l’activité, il y a un certain nombre de pré-requis: D’abord, réactiver le tourisme interne, un segment stratégique puisque c’est le 1er client. Ce pré-requis est tributaire de la libération de l’autorisation de circuler inter-villes et régions. Ensuite, ouvrir les lignes aériennes au tourisme international pour retrouver rapidement au moins 50% du trafic. Enfin, renforcer les moyens de promotion avec un plan de communication massif.
Pas de tourisme sans l’aérien…
«Aujourd’hui le vrai sujet du tourisme, c’est l’aérien qui nous a fait rater plein d’opportunités. Or, il n’y aura pas de sortie de crise sans aérien», insiste Hamid Bentahar, président du Centre régional du tourisme Marrakech-Safi. Selon le président du CRT, il fallait maintenir le lien avec les clients et les marchés pour les transformer en opportunités. Pour rappel, les opérateurs avaient tenu une réunion avec le management de RAM sur ce sujet précis. Le PDG de la compagnie nationale avait promis de mettre en place 5 routes aériennes sur Marrakech. Addou a prévu entre 3 et 9 avions sur Marrakech en provenance de Paris, Bruxelles, Milan, Madrid et Londres. «Sauf que jusque-là, l’on tourne en rond puisque les vols spéciaux sont encore maintenus!», regrettent les opérateurs.
Source: https://www.leconomiste.com LIEN