Pourquoi l’activité touristique au Maroc ne décolle pas?
TOURISME – Comment expliquer la morosité du secteur touristique au Maroc? Comment les pôles touristiques du royaume pourraient-ils remédier à cela? En quoi le marketing territorial est-il important? Éléments de réponse avec Hassan Faouzi, géographe, sociologue, chercheur à l’université de Lorraine, enseignant dans plusieurs écoles supérieures et universités et directeur de GEOFAO, cabinet d’études et d’ingénierie à Agadir.
HuffPost Maroc: On évoque souvent le contexte international tendu pour expliquer la morosité du secteur touristique au Maroc. Mais quelles pourraient être les autres causes?
Hassan Faouzi: Avec la conjoncture internationale actuelle très difficile, nous assistons à une baisse voire une dégringolade du chiffre de touristes se rendant au Maroc. La crise du tourisme est évidente. Les attentats de Nice, Paris, Allemagne, Bruxelles et Istanbul aggravent encore plus la situation entravant ainsi la relance de la destination. Suite à ses événements l’image des pays du Maghreb est maculée par la réouverture du cycle des amalgames. Le Maroc est bien entendu la première destination à être touchée par cette crise. Mais, il faut bien le dire, il n’y a pas que la menace terroriste dont pâtit le Maroc.
En fait, la chute du tourisme s’est opérée avant même les événements internationaux par suite de plusieurs facteurs, tels que la crise dans la zone Euro (crises économiques et politiques, chômage) et baisse des clientèles étrangères, l’émergence de nouveaux pays touristiques et culturels, la forte concurrence de destinations de tourisme de nature, etc. Le Maroc en tant que destination touristique ne fait plus rêver. Tout cela nous fait dire que la destination Maroc est face à un problème structurel et non conjoncturel.
Dans un contexte marqué par l’explosion de l’offre et la décroissance de la courbe de demande, notre promotion s’inspire toujours des clichés habituels (le soleil, la mer et la détente), notre offre touristique est concentrée sur l’axe Agadir-Marrakech, nos régions touristiques sont mal identifiées, notre offre patrimoniale peu lisible. Pareil pour l’offre touristique autour de l’art de vivre, de gastronomie et de bien-être qui est très peu développée.
D’autres facteurs interviennent et font que la crise est structurelle, parmi lesquels l’on peut citer : le faible développement du tourisme de nature, la saisonnalité de certaines destinations marocaines, promotion insuffisante du tourisme intérieur, problèmes structurels du transport aérien et dysfonctionnements au niveau des dessertes régionales. À tout cela s’ajoute le déficit de la communication autour de l’image du Maroc à l’international (publicité dans les médias occidentaux), le vieillissement d’une partie de la capacité litière et du parc hôtelier, l’inadaptation des normes de classement des hôtels à l’évolution des mentalités des nouveaux voyageurs et à leurs besoins, la rareté des hébergements thématiques ou écolabellisés, etc.
J’ajouterai aussi que, de mon point de vue, nous devrions opter pour un tourisme qui ne soit pas dépendant de l’immobilier et se contenter d’élaborer des stratégies ambitieuses mais réalisables. Et là je rejoins quelques professionnels du tourisme, en disant qui il est très difficile d’atteindre les 20 millions de touristes car on ne remplit pas encore les conditions précitées. Les visions lancées par le Maroc (vision 2010 et le Plan Azur 2020) se sont avérées irréalisables.
Comment les pôles touristiques du royaume pourraient-ils remédier à cela? Sur quoi doivent-ils désormais miser?
La mise en place dans le cadre de la Vision 2020 des 8 territoires touristiques avec des produits touristiques différents est une bonne chose. Néanmoins, afin que ces territoires touristiques soient identifiés comme porteurs d’une forte demande à l’international, ils doivent renforcer leur identification au travers de thématiques simples et claires.
Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’autres motivations de visite : patrimoine culturel, nature, environnement, gastronomie, vélo, bien-être, etc. Les clients sont à la recherche de « sens », d’authentique, de nature et éco-responsable. La connaissance du comportement et des attentes des touristes s’impose donc.
Aujourd’hui, les pôles touristiques du royaume doivent renforcer l’attractivité des sites patrimoniaux et culturels et doivent miser sur le développement des offres de courts séjours et sur le tourisme intérieur qui croit à forte vitesse et arrêter de considérer le tourisme national comme un palliatif durant les périodes de crise. Je pense aussi qu’il faut opter pour la création de tours opérateurs marocains afin que les nationaux puissent bénéficier de prix plus bas.
De plus, deux points méritent qu’on s’y attarde, il s’agit de l’aérien et de la gouvernance. A mon avis, il faut soutenir le développement de l’aérien, surtout les low cost (charters), qui est stratégique dans le développement du tourisme. Nous devons nous inspirer de la réussite de la compagnie aérienne Turkish Airlines qui joue un rôle majeur dans le développement du marché touristique turc.
Pour ce qui est du deuxième point, je note que la bonne gouvernance est la clé du développement touristique territorial. C’est pour cela que j’insiste sur la mobilisation de toutes les forces, la convergence et la coordination des actions des différents intervenants, sans oublier évidemment de développer le principe de mutualisation interrégionale. Il faut aussi assurer des liens entre les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, les collectivités et les organismes de tourisme.
Comment la valorisation du patrimoine culturel et des spécificités régionales doit-elle être menée par les professionnels du tourisme?
Nul n’ignore aujourd’hui le rôle central joué par la culture dans le développement territorial. La culture se présente comme une variable incontournable dans la mise en tourisme des territoires. Au Maroc, la prise en compte de cette variable a été longtemps minorée. Même aujourd’hui, on remarque l’absence d’une culture territoriale qui participe à la création de la valeur touristique locale. Les ressources culturelles peuvent et doivent être sollicitées pour améliorer l’image, le positionnement et l’identité des territoires touristiques.
Nous devons nous inspirer de la France qui est à la fois le premier pays pour la fréquentation touristique et premier pays de l’offre culturelle, avec ses 4.000 festivals annuels, ses 40.000 monument historiques, ses 20 milliards annuels de retombées économiques pour le patrimoine ancien, ses vieux villages gorgés d’histoire et façonnés de culture. C’est ainsi d’ailleurs, que plusieurs régions françaises ont révisé leur identité locale afin de l’instrumentaliser à des fins d’exploitation touristique.
On peut citer quelques exemples des hauts-lieux touristiques français comme Chamonix, Vallon Pont d’Arc, Le Touquet, Biarritz, Normandie, Bretagne, etc., qui sont vus comme des lieux emblématiques. On peut aussi citer Vienne, en Autriche, capitale d’ancien empire qui instrumentalise cette grandeur passée ainsi que son histoire, et Bilbao en Espagne qui a réussi son pari de devenir capitale de la gastronomie mondiale, sans oublier bien sûr Granada, première destination touristique espagnole: le tourisme s’y est développé grâce au palais de l’Alhambra.
Les pistes d’action sont innombrables. Il faut développer l’ingénierie touristique et culturelle et accorder une grande place au marketing culturel dans le développement des territoires touristiques. Le Maroc ne manque ni d’idées novatrices ni de talents et de compétences en marketing et il est plus que capable de se montrer concurrentiel sur le marché mondial. Pour cela, les régions doivent faire appel aux compétences locales.
Ces actions passent aussi par la sensibilisation des acteurs locaux aux enjeux de la gestion du patrimoine culturel et à l’utilisation de la culture comme vecteur pour promouvoir les lieux touristiques de leur région. L’implication des entreprises privées est un élément crucial car leurs apports est un gage de succès. Toutes ces initiatives nécessitent une concertation des différents intervenants afin de participer à la construction du marquage culturel des territoires touristiques.
En quoi le marketing territorial est-il important?
Dans un premier temps, il me semble important de rappeler que le territoire constitue à la fois un produit et un support. La notion de territoire peut être définie, selon Guy Di Méo, comme un espace habité par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire. C’est une notion complexe où se mélangent gestion des hommes, de l’histoire, de l’espace, de l’économie, de la culture, du développement, de l’attractivité.
Pour gagner en visibilité et rester concurrentiels, les territoires, en tant que destination, mettent en place des stratégies marketing de plus en plus agressives. Pour cela, et pour permettre une différenciation sur un marché concurrentiel, les marques territoriales voient le jour et fleurissent. En fait, la marque différencie les produits et leur donne du sens. La marque a pour ambition de faire rayonner la région, rendre attractif le territoire, enrichir l’image, conquérir de nouvelles clientèles, et internationaliser la notoriété.
L’utilisation de l’identité d’un territoire est un facteur déterminant dans la mise en place d’une stratégie de marque territoriale. L’identité constitue le fonds de commerce du tourisme. L’identité et le tourisme sont deux notions étroitement liées. La marque et ses fondements identitaires favorisent le storytelling qui est la tendance montante du marketing. Le storytelling, une technique de communication qui consiste à raconter une histoire autour d’un produit ou d’une marque à des fins de communication publicitaires. Ceci nous amène à nous interroger sur l’utilisation au Maroc du storytelling et l’instrumentalisation des identités territoriales locales comme socle de communication, de différenciation, de positionnement et de renforcement de la notoriété.
Une forte notoriété et une image attractive passent aussi par la presse, sans oublier bien évidemment le e-marketing territorial. L’importance des TIC dans le renouvellement de l’attractivité n’est pas à démontrer. Il s’agit donc de conforter Internet au cœur du marketing territorial. Ce qui est en vogue de nos jours, c’est le développement des applications ciblant les smartphones et les blogueurs voyage qui sont aussi les communicants les plus « in » du moment. Leur travail consiste à visiter les villes et les régions pour dépister adresses et activités. Ils sont partout: blog, YouTube, Instagram, Facebook, ce qui permet d’interagir avec l’internaute ou le client potentiel et de le fidéliser. Voyages-sncf.com, agence de voyages française, a récemment affiché sa stratégie auprès des blogueurs voyage.
On constate aussi que les destinations réussissent le plus souvent grâce au marketing viral dont l’effet de levier provient des partenariats, de l’événementiel culturel ou sportif et aussi des réseaux sociaux, surtout que le citoyen ou le marketing citoyen est en train de devenir le premier outil de communication marketing, permettant ainsi d’asseoir définitivement le marketing dans un mode collaboratif. De plus en plus les territoires utilisent la force citoyenne pour communiquer leur message. Par exemple la ville de Lyon a rassemblé un réseau de 18.000 ambassadeurs pour construire son offre et raconter le territoire. Elle les a ensuite invités à inclure le logo OnlyLyon dans leurs mails, générant ainsi chaque année plusieurs dizaines de millions de partages de l’image de marque.
Les partenariats créent également des effets de levier intéressants, tels que CNN, qui labellise des établissements hôteliers « CNN Partners », leur apportant ainsi une nouvelle visibilité, ou l’Équateur, qui s’est affiché par code QR (renvoyant à une vidéo de la destination) sur 24 millions de tonnes de bananes. Je peux citer aussi les retombées surprenantes du Vendée Globe pour la région et la ville des Sables-d’Olonne. Je peux citer autant de exemples qui vont nous servir pour élaborer une stratégie marketing efficace dans le cadre du benchmarking.
Quels pourraient être les autres vecteurs de développement de l’activité touristique?
Je vais formuler votre question autrement, je dirai simplement ceci: pourquoi, au moment du choix, les touristes préféreront-ils la France, l’Espagne ou le Portugal à leurs voisins? C’est une question parmi tant d’autres pour lesquelles existent des réponses, puisque l’on sait une chose: le profil du voyageur a changé. Les visiteurs ne se contentent plus d’un tourisme traditionnel, le soleil et la plage, mais ils recherchent de nouvelles activités, de vivre une expérience, de découvrir l’art de vivre et d’entrer en contact avec d’autres cultures.
Les nomades des temps modernes cherchent aussi un voyage responsable qui sait concilier tourisme et durabilité. Ce qui importe le plus aux touristes, c’est d’être dans un cadre qui leur permette de développer des relations qui ont du sens avec la communauté locale. Et ceci passe par le développement du tourisme responsable, solidaire, rural, participatif ou créatif, l’écotourisme et le tourisme sportif qui constituent des vecteurs de développement de l’activité touristique. On peut aussi citer d’autres vecteurs tels que l’événementiel, l’activité cinématographique, le MICE (« Meetings, incentives, conferencing, exhibitions » ou « l’industrie des réunions »), le bien-être, et là j’en profite pour noter que National Geographic Traveler a classé Merzouga comme 4e meilleure destination mondiale en matière de séjours « bien-être et ressourcement ». Je pense que cela en dit long sur les nouvelles tendances du tourisme.
Le tourisme peut, théoriquement, se développer partout dès lors qu’il y a des aménités. Une destination est bien plus qu’un lieu géographique, c’est une combinaison de produits, services, ressources naturelles… des richesses, des attraits de toutes sortes, géographiques et patrimoniales capables d’attirer des visiteurs. La valorisation de ces aménités, qu’elles soient rurales ou urbaines, est un moyen parmi tant d’autres qui permettra de booster l’activité touristique. J’ajouterai aussi que le souci de bonne gouvernance est devenu aussi un des vecteurs de développement de l’industrie touristique.
Source: http://www.h24info.ma