Entretien avec Abdellatif KABBAJ président de la CNT
Pour redresser la barre du secteur en perdition, Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du tourisme, estime qu’il y a une carte essentielle à jouer: renforcer les actions de relations publiques et le lobbying auprès des leaders d’opinion et médias. Pour lui, il était tout aussi essentiel de faire participer le ministre du Tourisme et les opérateurs touristiques à la Rencontre de haut-niveau Maroc-France. Le secteur aurait pu y trouver de nouvelles pistes de collaboration à l’heure où des marchés qui chutent le plus, c’est la France qui tient le haut du pavé. Les professionnels parlent déjà d’une année catastrophe.
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– L’Economiste: Les premiers résultats de l’année sont loin d’être optimistes.
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– Abdellatif Kabbaj: Je dirais personnellement qu’ils sont catastrophiques. Nous essuyons des baisses systématiques en termes d’arrivées sur l’ensemble du marché européen. Cumulées à fin mars, nous sommes à moins 5%, mais si nous analysons par marché, la baisse est alarmante sur l’ensemble des pays émetteurs traditionnels. Heureusement que d’autres marchés ont résisté et même performé, les résidents et les pays arabes. Ce qui nous a permis de réduire la catastrophe et les pertes. Mais, attention, nous ne sommes pas sortis de l’auberge et les prévisions sont très pessimistes.
– Quid justement des prochains mois?
– Compte tenu des baisses de l’hiver, avril et mai ont été plus au moins corrects, grâce notamment aux vacances scolaires, mais très loin des réalisations de 2014. Et on s’attend à un naufrage en été qui coïncide avec le ramadan. Et on sait tous que les clients évitent ce mois durant lequel, il faut le dire, l’animation devient presque inexistante, le Marocain pas très agréable…
– Préjugés, désinformation… Quelles sont les vraies raisons de ce recul?
– Il n’y a pas que la désinformation ou les préjugés. Parallèlement à la crise économique européenne qui impacte le tourisme, nous avons dû faire face à une série de crises et qui remontent à 2003 avec les attentats de Casablanca. Aujourd’hui, la destination Maroc paye les frais de l’instabilité de ses pays voisins, de l’émergence des groupuscules terroristes en Algérie, du terrorisme en Libye ou en Tunisie.
. Et puis, il y a eu le 24 septembre 2014 et l’assassinat d’un ressortissant français en Algérie qui a entraîné la débandade du marché français au Maroc. L’effet Charlie Hebdo.
. Il faut dire aussi que la réaction et la publication du Quai d’Orsay classant le Maroc parmi les pays à risque -corrigé entre temps- n’ont pas rassuré les esprits. Ensuite, il y a eu la tourmente médiatique autour d’Ebola et la coupe d’Afrique qui n’ont pas rendu service au tourisme marocain. Face à ces crises, la communication reste très tiède.
– La crise s’installe davantage sur le marché français et les TO ne prennent plus de risque…
– Et c’est d’autant plus inquiétant que le marché français représente énormément pour une ville comme Marrakech ou Agadir avec plus de 50% du volume. Certes, les crises économique et d’image ont impacté ce marché, mais il faut relancer la machine et y mettre les moyens en renforçant les actions de relations publiques, le lobbying auprès des leaders d’opinion et médias. Or, force est de constater que nous ne faisons pratiquement rien. Le dernier exemple en date est la Rencontre de haut niveau France-Maroc du 29 mai. Ni le ministre de Tourisme ni l’Office n’y ont pris part. Les professionnels du tourisme qui sont les premiers concernés par les relations économiques et commerciales franco-marocaines n’ont pas été invités. On a l’impression que le tourisme, créateur d’emplois et pourvoyeur de devises, n’est plus une priorité pour le gouvernement.
– Face à cette période de disette, on fait visiblement du dumping. Les recettes touristiques ont baissé de 5,4% uniquement sur les 4 premiers mois de l’année.
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– Tout d’abord, s’il y a eu dumping, c’est tout simplement pour sauver l’année. Les professionnels ont baissé les prix pour attirer les clients et sont les plus grands perdants de cette histoire. Les clients payent de moins en moins cher les prestations. Les demi-pensions et les all inclusive sont presque bradées et nous ne sommes pas loin de la Tunisie en termes de prix.
– A cette allure, vous croyez encore en les objectifs de 2020?
– Non, car nous sommes en stagnation par rapport à 2010. Mais nous restons mobilisés pour au moins nous rapprocher des 20 millions à condition d’être accompagnés pour surmonter les difficultés. On a d’ailleurs prévu un forum le 13 juin prochain avec l’ensemble de la profession pour faire un état des lieux d’abord et un diagnostic. L’idée est de débattre en toute franchise des problèmes et des freins que rencontrent la profession et le secteur et que par la suite les recommandations formulées soient présentées au ministère de tutelle et aux différents membres du gouvernement qui doivent logiquement accompagner le secteur. J’espère que d’ici là, le CST (Conseil supérieur du tourisme), présidé en principe par le chef du gouvernement, sera mis en place pour donner plus de poids au secteur.
– Depuis votre élection à la tête de la CNT, vous avez mis en place une feuille de route. Où en êtes-vous aujourd’hui?
– Il fallait d’abord réorganiser la CNT et regrouper tous les professionnels qui étaient externes à la confédération. Aujourd’hui, il y a une cohésion totale autour de la Confédération et nous nous attelons à la résolution des vrais problèmes. C’est bien pour cette raison que nous avons prévu ce forum pour donner la parole à tous les professionnels et ce, sans langue de bois.
Source: http://www.leconomiste.com
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